L’accompagnement rééducatif péri-opératoire dans le traitement des déformations vertébrales : un gage important de bonne réussite

La chirurgie des déformations vertébrales représente une chirurgie souvent lourde, qui s’accompagne d’un taux de ré-interventions important : toutes causes confondues, ce taux est évalué d’après une enquête du GES (Groupe d’Etude des Scolioses, société savante des médecins et chirurgiens spécialisés dans ces problèmes) entre 25 et 30% dans les deux premières années post-opératoires.
Inversement, les méthodes de rééducation ont la réputation d’une efficacité modérée sur les déformations rachidiennes importantes, en particulier dans les scolioses dégénératives importantes de l’adulte, n’empêchant souvent par leur aggravation.
L’expérience du service de rééducation de St Pol sur Ternoise depuis 10 ans montre que l’on peut allier les avantages des 2 principes, rééducatif et chirurgical, pour procurer un résultat global relativement satisfaisant pour le patient à moyen et plus long terme, diminuant de façon significative le nombre de reprises chirurgicales.

Pour illustrer notre propos, nous partirons d’un cas clinique :

Mme B., 62 ans, consulte pour des douleurs lombaires importantes, d’apparition récente, 1 an après une intervention pour scoliose réalisée par un collègue. Il s’agissait d’une scoliose lombaire dégénérative avec déséquilibre antérieur et latéral du tronc, avec une bonne correction de la déformation. Les radiographies récentes montrent un bris de tige lombaire, la scintigraphie et le scanner montrent une zone de non-consolidation de la greffe osseuse.


A l’examen clinique, la patiente a de très importantes rétractions musculaires de l’ensemble des muscles antérieurs du tronc, entraînant des contractures permanentes importantes des muscles postérieurs du tronc pour tenter de pallier ce déséquilibre antérieur du tronc. La patiente a cependant un équilibre global statique du rachis satisfaisant sur le plan radiographique.


La patiente est traitée de façon conservatrice avec mise en place d’un corset, rééducation en hospitalisation pour réduire progressivement les rétractions musculaires de la partie antérieure du tronc. Les douleurs s’améliorent progressivement, les scintigraphies et scanners successifs montrent l’amélioration des images de non consolidation de l’arthrodèse. La patiente est invitée à poursuivre son programme de rééducation en externe, avec des exercices à faire à domicile de façon quotidienne, des séances de kinésithérapie hebdomadaires et un suivi semestriel en consultation.
Deux ans après la consultation initiale dans notre service, à 3 ans post opératoire, la patiente est pratiquement asymptomatique et mène une vie sédentaire normale.LA consolidation osseuse est bonne sur le scanner et la scintigraphie osseuse. Il n’y a pas de modification du bon équilibre acquis en post-opératoire par la chirurgie.

Alors, rétractions musculaires, raideurs articulaires : cause ou conséquence dans ce processus douloureux et de pseudarthrose ?

D’après notre expérience, la constitution de pareilles rétractions musculaires demande de nombreuses années, rétractions qui préexistaient très certainement à la chirurgie effectuée un an plus tôt : c’est du reste notre constatation quotidienne pour des patients vierges de toute chirurgie et devant justifier d’un programme chirurgical.
Quelle a été le rôle de la rééducation ? Permettre à la greffe osseuse faite par le chirurgien de travailler dans de meilleures conditions mécaniques, par la diminution des contraintes musculaires de déséquilibre antérieur: ce sont les mêmes principes que ceux prônéspar les chirurgiens, citons en particulier Harms.
Même s’il ne s’agit que d’une hypothèse, notre sentiment est que le travail de décontraction musculaire effectué permet aussi une meilleure oxygénation de toute la musculature en particulier profonde du rachis et du tronc qui ne peut qu’être bénéfique à l’acte chirurgical, ses suites opératoires, et la qualité de la greffe obtenue.
Le succès du traitement de cette pseudarthrose, dont la solution est réputée purement chirurgical, par un programme conservateur, aide à comprendre comment appliquer les mêmes principes rééducatifs de façon préventive comme préparation préopératoire pour mettre le patient dans les meilleures conditions de succès chirurgical, non seulement à court terme, mais si possible à moyen et long terme.



Notre expérience quotidienne nous amène à constater combien fréquentes sont les situations cliniques de déséquilibre musculaire global de l’appareil locomoteur, de tensions profondes non seulement sur le plan musculaire, mais aussi comportemental, susceptibles d’affecter les contraintes qui s’appliquent sur la seule chose que l’on examine de façon obligatoire : le squelette, par l’intermédiaire des radiographies standard. Celles-ci ne constituent en fait qu’une « ombre » qui ne donne que des renseignements très partiels sur l’ensemble de l’appareil locomoteur, même si on y inclue paramètres pelviens, gîte sagittale…





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Le travail de rééducation est donc d’abord et surtout un travail de prise de conscience de l’état dans lequel le patient se trouve en terme de schéma comportemental et tensions musculaires, rétractions articulaires : devenir conscient de son corps par le développement des perceptions, plus que développer un renforcement musculaire, même accompagné d’étirements, dont on connait les limites chez des patients qui ont déjà des escalades importantes de compétitions entre des muscles surutilisés par les tensions chroniques.


Le travail n’est donc pas tant moteur, que sensitif profond, et il s’agit d’un travail de longue haleine où la participation active du patient est recherchée, afin qu’il en éprouve progressivement du plaisir. Sans plaisir au travail corporel, le travail physique personnel sera forcément de courte durée, aboutissant à terme à l’abandon d’un travail corporel jugé indispensable sur la durée, et pas seulement en préopératoire, mais aussi en postopératoire, pour la vie du patient : ce principe est d’autant plus vrai que le patient a un nombre important de vertèbres fusionnées, imposant une répartition des contraintes la plus harmonieuse et légère possible sur les vertèbres mobiles restantes, en travail statique et dynamique.


Le travail rééducatif insiste aussi sur la prise de conscience proprioceptive de la charpente osseuse, qui favorise l’intégration structurelle de cette partie indispensable de notre appareil locomoteur souvent oubliée ou sous-estimée dans la kinésithérapie classique : le squelette. C’est accorder tout le mérite à des techniques kinésithérapiques telles que les chaînes musculaires GDS abordées dans un précédent article.
Tout excès de tension musculo-aponévrotique non seulement du tronc, mais de l’ensemble de l’appareil locomoteur, aboutit obligatoirement à un travail en fatigue plus important au niveau de la zone de greffe, pouvant favoriser le bris de matériel si ces déséquilibres interviennent avant la fusion osseuse, et favoriser une poursuite de l’évolution des déformations de part et d’autre de la zone greffée si l’arthrodèse a pu fusionner.

C’est dans le cadre de ce travail global sur l’appareil locomoteur pour diminuer de façon globale les tensions excessives, que s’ajoute au travail purement rééducatif, un travail associé de relaxation sur un plan plus général : devenir « plus zen » dans la vie de tous les jours évite la mise en jeu inutile des muscles qui se tendent automatiquement en cas de stress.
Le travail de la respiration, en particulier abdominale, se situe au carrefour entre rééducation et travail de détente, par exemple avec des techniques (non exclusives) de sophrologie.

Et si l’on veut être moins stressé dans la vie de tous les jours, il est intéressant, parfois, et même souvent, de comprendre les mécanismes psychologiques de notre éducation, schémas de vie qui ont aboutis à ces mécanismes de tensions, là encore inconscients pour la plupart des patients (dont nous faisons partie à titre potentiel) : le recours à une équipe de psychologues et sophrologues est donc maintenant systématique dans notre pratique depuis plus de 12 ans : le psychologue ne constitue pas un outil utilisé comme la prise de sang ou le scanner pour autoriser ou contrindiquer un acte chirurgical considéré comme utile au vu du bilan radio-clinique : il s’agit d’un réel travail d’équipe où kinésithérapeutes, médecins de rééducations, chirurgiens, sophro et psychologues comprennent l’intérêt que représente leurs participationsrespectives dans le développement d’un certain bien-être global du patient.
Ce travail d’équipe est aussi indispensable afin que le patient s’adapte à sa nouvelle vie après un geste chirurgical qui lui interdira la plupart du temps de reprendre des activités physiques comparables à celles qu’il avait avant que ses problèmes de dos se déclenchent. De l’acceptation des limites physiques que le patient va percevoir plus finement grâce à ce travail proprioceptif progressif, va aussi dépendre la qualité du résultat chirurgical et global à long terme. Il y a donc un travail d’acceptation du handicap à effectuer progressivement par chaque patient. Il faut aider le patient à une reconversion de vie plus qu’une simple reconversion professionnelle qui ne suffit pas toujours.

D’une revue de 40 patients suivis et opérés dans le service pour des déformations rachidiennes avec un recul de plus de 2 ans, il apparait que seuls 2 patients ont été réopérés : le premier pour une pseudarthrose du niveau supérieur L2L3 chez un patient travailleur de force qui pour de multiples raisons (professionnelles, familiales…) a continué às’imposer des efforts largement au-dessus des tolérances de son rachis. Le 2è patient, parkinsonien,a été perdu de vue à 2 mois post-opératoire en raison d’une décompensation importante de sa maladie parkinsonienne, et revu uniquement à 3 ans post-opératoire avec une accentuation de sa déformation rachidienne au-dessus de la zone instrumentée (D10).

Ces résultats d’une prise en charge globale semblent donc favoriser une amélioration de la qualité de vie des patients tout en diminuant de façon importante le taux de reprises opératoires dans cette petite série opérée par un seul chirurgien.